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Crise économique : quand la guerre en Ukraine sert d’écran à Paris

Nouveaux impôts sur l’épargne, note financière dégradée, pouvoir d’achat en berne – le gouvernement français est accusé de brandir le conflit ukrainien pour éluder ses responsabilités économiques, pendant que les vrais gisements d’économies budgétaires restent ignorés.

La guerre en Ukraine, écran de fumée d’une crise bien française ?

Depuis plus d’un an, l’exécutif martèle que l’envolée des prix et les difficultés économiques découlent en grande partie du choc de la guerre en Ukraine. Il est vrai que le conflit a aggravé les tensions sur l’énergie et l’inflation mondiales​. Mais cet argument est de plus en plus contesté en France. « La guerre en Ukraine a bon dos », protestent des voix critiques, rappelant que l’inflation a commencé « à la fin du 1er semestre 2021 », bien avant l’invasion russe​. Autrement dit, le gouvernement utiliserait ce conflit comme un bouc émissaire pour détourner l’attention des failles de sa propre gestion économique. Pendant que les projecteurs médiatiques restent braqués sur le front de l’Est, la situation économique intérieure continue de se dégrader. Les annonces de solidarité internationale ou de dépenses militaires exceptionnelles peinent à masquer les réalités nationales : croissance atone, finances publiques en déficit chronique et grogne sociale persistante. En somme, si la guerre en Ukraine explique une part des difficultés, elle ne saurait excuser tous les maux économiques de la France – d’autant que nombre de ces maux sont antérieurs au conflit et relèvent de choix politiques internes.

Nouveaux impôts : l’épargne des Français dans le viseur

Face à des caisses de l’État qui se vident, le gouvernement cherche à renflouer les finances publiques, quitte à envisager de nouveaux prélèvements fiscaux. Le budget 2025 s’annonce à cet égard délicat : l’exécutif viserait « 60 milliards d’euros » de redressement en combinant économies et hausses d’impôts. Parmi les pistes étudiées figure une mesure très controversée : une taxation supplémentaire de l’épargne des particuliers​. Si Bercy s’en défend publiquement – « il ne s’agira pas de toucher (…) à l’épargne des Français », a assuré récemment la Première ministre​, l’idée même d’attaquer les livrets et placements des ménages inquiète. « On va dire à des gens qui ont épargné toute leur vie (…) désolé, on va vous taxer un peu plus », s’alarme un rapporteur du budget au Sénat, dénonçant « l’amateurisme et l’impréparation du gouvernement face à la gravité de la situation » financière du pays​.

Cette perspective passe d’autant plus mal que les Français se sentent déjà asphyxiés fiscalement. D’après un sondage Ifop, 66 % des Français s’opposent à toute nouvelle taxe sur leurs plans d’épargne (PEA, PER) et 63 % refusent qu’on touche à leurs assurances-vie. Autrement dit, « piocher dans la poche des Français » apparaît comme une ligne rouge pour une large majorité, qui préférerait voir l’État cibler les superprofits des grandes entreprises ou les très hauts revenus​. En voulant trouver des recettes à court terme, le gouvernement prend le risque d’accentuer le ras-le-bol fiscal et de fragiliser davantage la confiance des classes moyennes.

Note financière en berne : un signal d’alarme ignoré

Le mal français n’a pas échappé aux regards extérieurs. Au printemps 2023, l’agence Fitch a infligé un sérieux camouflet à la France en dégradant sa note de crédit souverain de AA à AA–​. Pour la première fois depuis des années, la qualité de la signature financière française est rétrogradée au dernier échelon de la “haute qualité”. Dans son communiqué, Fitch pointe du doigt des « déficits budgétaires importants » et des « progrès modestes » dans leur réduction, ainsi qu’un climat de tensions sociales qui risque de freiner les réformes​. En clair, la dette publique française inquiète : l’assainissement budgétaire post-Covid est jugé trop lent, et les perspectives de croissance trop optimistes pour tenir l’objectif de déficit sous 3 % du PIB d’ici 2027. Les implications sont lourdes : une dégradation de note tend à faire monter les taux d’emprunt exigés par les investisseurs, ce qui renchérit le coût du financement de l’État sur les marchés​.

Pour l’instant, l’impact reste mesuré, mais le mauvais signal est envoyé. L’exécutif a beau minimiser cette « appréciation pessimiste » et promettre de poursuivre « des réformes structurantes », le mal est fait​. D’ailleurs, l’opposition s’est emparée de ce verdict pour accuser la majorité d’aveuglement budgétaire. « Dépenses incontrôlées, production industrielle au plus bas… La France dépense plus qu’elle ne produit. La vérité nous rattrape après des années d’impuissance et de démagogie », a cinglé le député Eric Ciotti dans la foulée de l’annonce Fitch​. Même les arbitres internationaux donnent l’alerte : continuer comme avant n’est plus une option, sauf à voir la confiance des marchés – et à terme la souveraineté financière du pays – s’éroder davantage.

Pouvoir d’achat : les classes moyennes à la peine

Sur le terrain, ce sont les ménages qui subissent au premier chef les conséquences de ces choix économiques. L’année 2022 a marqué un tournant avec une inflation record de 5,2 %, du jamais-vu depuis les années 1980, suivie de près par +4,9 % en 2023. Pour les Français, cela s’est traduit par une flambée des dépenses contraintes : en moyenne +1 230 € par personne en 2023 simplement pour maintenir le même niveau de vie. Le gouvernement a certes multiplié les mesures d’urgence (bouclier tarifaire sur l’énergie, indemnités inflation, revalorisation du SMIC et des retraites, « prime Macron » défiscalisée, etc.), ce qui a permis une hausse des revenus disponible l’an dernier​.

Mais ces coups de pouce n’ont pas compensé pleinement la hausse des prix : selon l’Insee, les divers relèvements de salaires et prestations n’ont couvert qu’environ 95 % de l’inflation. En moyenne, le pouvoir d’achat a reculé de 5 % sur l’année malgré les revalorisations​. Surtout, cette moyenne cache de profondes inégalités. D’un côté, les ménages modestes ont vu leurs aides augmenter, sans pouvoir éviter de fortes pertes de pouvoir d’achat (ils n’ont compensé qu’environ 50 % de la flambée des prix, beaucoup ayant dû puiser dans leur épargne)​. De l’autre, les plus aisés ont pu limiter la casse, voire profiter de revenus du capital en hausse, au point que les 20 % les plus riches ont globalement maintenu voire accru leur niveau de vie.
Entre les deux, les classes moyennes se retrouvent coincées : trop “riches” pour bénéficier des aides ciblées, mais trop justes pour absorber sans douleur l’envolée des prix. « Oubliées des dispositifs d’aides », ces classes moyennes ont dû rogner sur leur épargne et leur consommation, fragilisant encore leur équilibre financier​.
C’est ce mal-être diffus que l’on retrouve dans la colère fiscale ou les mouvements sociaux (gilets jaunes hier, manifestations contre la vie chère aujourd’hui). L’inflation importée – qu’elle provienne de la guerre ou d’autres chocs – frappe donc de plein fouet un pouvoir d’achat déjà érodé, nourrissant un sentiment d’injustice chez ceux qui portent le pays à bout de bras.

Gaspillages budgétaires : l’angle mort des réformes

Pourquoi la France, championne des dépenses publiques, n’arrive-t-elle pas à mieux protéger ses citoyens en temps de crise ? La question ramène à un tabou : celui des gaspillages et inefficacités de la dépense publique. Chaque année, les prélèvements obligatoires atteignent des sommets – près de 1 200 milliards d’euros par an, record de la zone euro – et pourtant les services publics donnent des signes de faillite​.

L’hôpital manque de lits et de soignants, l’école décline dans les classements, les transports patinent… « Tout craque de partout en dépit des milliards injectés », constate l’iFRAP, un institut spécialiste des finances publiques, évoquant un véritable « scandale français »

En vingt ans, les dépenses publiques ont quasiment doublé (de 809 Md€ en 2002 à environ 1 500 Md€ en 2022)​, sans que cette débauche de moyens se traduise par des résultats probants. Au contraire, la France accumule les déficits – preuve que l’argent public est souvent mal alloué, dilapidé dans des dépenses peu efficaces. Qu’il s’agisse de doublons administratifs, de politiques publiques coûteuses pour un impact limité, ou de la propension de l’État à ouvrir le portefeuille à la moindre grogne, les gouffres budgétaires sont connus. Avant l’élection présidentielle de 2022, on a ainsi assisté à un véritable « festival de chèques » distribués tous azimuts (chèques énergie, primes exceptionnelles, baisses d’impôts ponctuelles…), pour un total de 82 milliards d’euros de dépenses supplémentaires en 2022 par rapport au budget initial​
. Autant de milliards ajoutés à la dette que les gouvernements successifs ont préféré ignorer, repoussant sans cesse l’effort de redressement. « Le report incessant des efforts (…) n’est simplement plus envisageable », vient de prévenir la Cour des comptes, alarmée par des dépenses publiques « en roue libre » et un pays « au pied du mur » financièrement​
​Le gouvernement, lui, tarde à s’attaquer à ces gisements d’économies. Plutôt que de restructurer l’État, de traquer la fraude ou de revoir les priorités budgétaires, l’exécutif donne l’impression de chercher de nouvelles recettes pour combler le tonneau des Danaïdes. Cette fuite en avant ne peut durer indéfiniment.

Entre déni et urgence : un tournant nécessaire

En définitive, la gestion économique du gouvernement français est de plus en plus mise en procès. Accuser la conjoncture internationale ou la guerre en Ukraine de tous les maux ne convainc plus grand monde, tant la crise est d’abord domestique et structurelle. Inflation persistante, pression fiscale accrue, endettement record et services publics en déshérence forment un cocktail explosif auquel l’exécutif doit apporter des réponses courageuses. Plutôt que d’user de diversions ou de solutions de facilité, il lui faudra affronter la réalité : restaurer la confiance passe par une remise en ordre des finances sans matraquer les classes moyennes, et par une chasse aux gaspillages plutôt qu’une énième ponction sur les épargnants. À défaut, le gouvernement continuera de courir après une opinion publique exaspérée, sur fond de déclassement économique. L’heure n’est plus aux écrans de fumée : il est temps, pour nos dirigeants, d’engager la bataille du redressement national avec la même urgence et la même clarté que celle affichée sur la scène internationale. Les Français, eux, n’attendent rien de moins qu’un cap enfin lisible pour sortir du marasme.

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